Pour voix et flûte – Pierre Dhainaut
Encres de Caroline François-Rubino
Éditions Æncrages & Co, collection Voix-de-Chants
Février 2020
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Aujourd’hui, je vous présente le dernier recueil de Pierre Dhainaut,
« Pour voix et flûte », paru en janvier 2020 aux belles éditions Æncrages & Co, avec les encres de Caroline François-Rubino.
Comme le suggère le titre, le flûtiste apparaît, dans l’un des poèmes de ce livre, comme l’une des formes très pures du poète. Nous savons que Pierre Dhainaut n’aime rien autant que le son des flûtes, quels que soient leur origine culturelle, leur matériau, leur structure spécifique… En ce recueil, il atteint l’un des points les plus intenses, les plus élevés, de cette voix poétique qu’il incarne depuis si longtemps — depuis « Le Retour et le
chant ». Le « chant », précisément : entre celui-ci, les « voix » (à plusieurs reprises convoquées dans ses titres) et le son d’une flûte, se lit évidemment le lien du souffle, thème majeur de cette œuvre singulière, si importante pour notre temps, qui a oublié de se laisser guider par la respiration.
Ce livre-ci s’ouvre sur le thème le plus grave qui soit : la perspective de notre propre mort. Il ne s’agit plus, comme dans les recueils précédents, de vaincre l’obstacle de la maladie ou du désespoir. Nous sommes projetés au-delà, face au mur radical du trépas : « Avant de fermer les yeux sous le masque / au départ vers le grand sommeil »… Dans cette conscience aiguë que tout prendra fin, immanquablement, un jour, le poète suscite, de sa main qui écrit, la plus grande fraîcheur du vivant : celle qui peut se chanter. Plusieurs mots se laissent reprendre d’un vers à l’autre. Le poème se fait mélopée ou mantra : c’est un enchantement, au sens propre du terme. L’espace entre les mots et les poèmes s’unifie, devient berceau. Le silence qui précède ou suit le vers, l’intervalle qui sépare deux pages, tous deux ressemblent au « devenir du premier souffle ». C’est ainsi seulement qu’adviennent « les mots // s’affranchissant des mots dans les poèmes ». Une parole s’affranchit du langage, un silence se libère des bruits pour faire naître le son, ou plutôt : le rythme du vivant. C’est seulement ainsi que le poème tressaille et nous touche au plus profond de ce que nous sommes (et ignorons) : « la main touchera le silence, frémira / comme une âme inlassablement fugitive // en son visage. »
Tout cela ne peut s’écrire et se lire que dans une forme de veille, d’attention constante à ce qui vibre en soi-même. Tout réside dans le souffle qui précède, porte et suit le mot, la phrase… Un bercement de marée où se déploient successivement, comme dans le flux et le reflux, les deux formes choisies : le poème long, qui occupe deux pages, et les sizains de la troisième partie intitulée « Lecture de lumières ». Accompagnant admirablement cette attention au souffle, les encres de Caroline François-Rubino esquissent des paysages qui sont aussi poèmes : l’herbe suggérée forme un langage graphique de signes verticaux, horizontaux et obliques, courbés par les vents dont on sent la présence.
« Le moindre bruit ou la moindre lueur,
ayons pour eux, longtemps d’avance,
un visage attentif. »