Orées
Perceptions qui se perdent vers l’horizon, fugacité des images, instabilité, difficulté de cadrer avec son regard : à l’orée des bois, des forêts, des champs ou de la nuit, le sentiment de profondeur est trompeur, l’obscurité crée l’illusion, le point lumineux là-bas au loin semble bouger. Le bord du chemin est comme la fenêtre, le hublot, le tableau, il nous amène ailleurs par le regard ; on devine, on imagine, les images se superposent, se dissipent et disparaissent.
La peinture de Caroline François-Rubino tend à saisir ce qui se dérobe au regard…
Rien d’étonnant à ce que la recherche de la lumière par le mouvement et les espaces vides, comme autant de respirations captées, structure une oeuvre qu’il faut savoir observer et écouter. Les passages menant à l’orée de ce qui est toujours un horizon neuf : les images seraient autre chose que des reflets, mais plutôt des sensations vraies d’un ailleurs qui se trouve ici, au plus réel du visible.
François Rannou
Et encore plus pleinement ici…
Caroline François-Rubino marche souvent sur les chemins de campagne, elle observe le paysage autour d’elle, elle photographie parfois tel ou tel élément du paysage, pour son plaisir ou pour ses amis, mais elle dit – écoutons-la attentivement – « peindre ce qu’elle ne pourrait photographier ».
La pertinence de cette remarque saute aux yeux de celui qui regarde ses peintures, ses encres, ses aquarelles et ses dessins. Peut-être comportent-ils, même ses travaux les plus « abstraits » (mais ce mot ne convient pas), le lointain tracé d’un relief de montagne, la silhouette d’un bosquet, une suggestion d’eau qui coule ou qui dort, une ambiance de vent en plein jour ou celle d’une attente à la tombée de la nuit, une évocation de hautes herbes bordant un escalier en pierre ou encore une allusion à un chemin menant vers quelque orée, quelque clairière, mais la vérité – le vrai qui éclot, son évidence si calme – de ses images ne repose en fait que peu sur une imitation de la Nature, une illusion du réel et ne se nourrit d’aucune interprétation mystique nous faisant croire en un « ailleurs » à portée de main. Non, devant une œuvre de Caroline François-Rubino, nous ne sommes pas ailleurs, nous sommes ici, et encore plus pleinement ici qu’auparavant.
Elle est en quête d’un autre réalisme (mais ce mot ne convient pas non plus) – un autre rapport, approfondi, avec la physis, ce terme de la philosophie grecque qui nous permet de constater que Caroline François-Rubino est aussi à la recherche d’une autre métaphysique. Elle cherche à rendre ces « tremblements de temps » qu’elle perçoit dans la matière et dans les phénomènes, à représenter comment le Temps s’incarne dans les éléments de la Nature et les affecte, les transforme, les fait surgir devant nos yeux ou les fait disparaître.
Elle tente de capter ce passage, ce long moment de transmutation, ce silence qui retrouve une discrète vibration (ce « son des branches » que nous ne pouvons plus entendre, mais qui est là), ou bien ce champ abandonné qui lentement se remplit de quelque chose d’innommé (ou au contraire ces alentours familiers se dispersant dans une brume qui est comme une absence inconnue), ou encore tout un paysage, toute une géographie qui autour de nous prennent forme (ou en revanche qui se dissolvent comme dans une eau primordiale vers laquelle tout tend), sans oublier – pour parler beaucoup plus simplement – la neige aux tout premiers instants de son bref et léger repos sur la colline endormie ou, à peine plus tard, quand elle commence à fondre.
Quête d’une présence essentielle qui ne serait pas une idée austère, infertile, une forme platonicienne, une abstraction, mais bien au contraire le sens et le but de notre rapport à la terre, au cosmos. L’extériorité qui s’ouvre, l’intériorité qui s’ouvre, une infime et délicate mobilité – en nous et en dehors de nous – que l’artiste cueille et qui finit par nous rassurer car, comme cette lumière qu’elle saisit toujours dans l’émouvante beauté de sa mutabilité, c’est ainsi que pourrait être la vie.
John Taylor