Tremblements de temps
Imperceptibles changements, légères variations, passages à une autre luminosité : les tremblements de temps n’attendent pas notre regard et nous ne les percevons que si nous sommes attentifs à leurs subtiles manifestations.
Ce sont ces fluctuations, ces suspensions, ces respirations qui provoquent mon regard de peintre et tentent de s’inscrire à la surface de la toile : parfois « fondus enchaînés » comme dans les diptyques ou les triptyques où l’espace se prolonge et se perd, parfois harmonies inattendues surgissant sur un support unique. Ici, la lumière vient en buées irisées jouer sa partition, la clarté n’est jamais complète, des résonnances lumineuses se répondent à travers le temps qui s’étire. Les voix du clair-obscur se taisent cependant pour laisser s’exprimer avec une certaine lenteur ces infimes tremblements, rien n’est définitivement passé, il peut même y avoir un effet de retard.
Lorsqu’un paysage s’offre à notre regard, à notre perception, nous sommes dans un temps et dans un espace qui s’abstraient de la réalité, presque dans un abîme où il est tentant de se laisser tomber, de se perdre. Grâce à la peinture, le paysage peut se déployer à loisir dans l’espace du tableau d’une manière sans cesse inédite ; en multipliant les supports, le parcours visuel devient plus long et emprunte des chemins de traverse, l’air semble mieux circuler, les reflets se prolongent dans plusieurs eaux, l’horizon n’est jamais figé. Ainsi, les capacités du paysage à se métamorphoser sous nos yeux peuvent apparaître dans le champ pictural. Ce sont des sensations que l’on éprouve par exemple en voiture ou en train, une esthétique de l’éphémère, de la transformation incessante qui s’oppose à celle de l’immobilité et du pittoresque.